Du toutou baveur au matou lover
Ce n’est pas un scoop: pour influencer le comportement du consommateur, la publicité peut avoir recours au conditionnement, et plus souvent qu’on ne le pense. C’est une pratique si ancrée dans les stratégies publicitaires qu’elle en est devenue implicite. Retour sur une théorie archiconnue mais toujours efficace, qui a encore de beaux jours devant elle.
Le toutou de Pavlov
C’est l’histoire d’un docteur. Un jour, alors qu’il remplit la gamelle de son chien, il observe un curieux manège: le chien salive à la vue (ou est-ce à l’odeur?) des croquettes. En faisant gaffe de ne pas glisser sur les flots de bave qui ont recouvert les carreaux de sa cuisine, le docteur s’empare d’une clochette. C’est décidé: dès aujourd’hui, il associera systématiquement le rituel du repas canin au tintement d’une cloche. Au bout de plusieurs jours, la magie opère! Le docteur Pavlov n’a plus besoin de gamelle pour faire saliver son compagnon à quatre pattes: la cloche suffit. Certains diront que ce chien était un mélomane inconditionnel. D’autres préfèrent penser qu’Ivan Pavlov a découvert le conditionnement répondant: à côté des réflexes innés, il est possible d’inculquer des réflexes conditionnels.
Un demi-siècle plus tard, un autre docteur, Burrhus Frederic Skinner, soutient que le chien de Pavlov est la victime d’un réflexe imposé (objection! Les vaches suisses broutent elles aussi au son des cloches et on ne les a jamais entendu se plaindre!). Il initie ainsi le courant béhavioriste, basé quant à lui sur le conditionnement opérant. Dans les grandes lignes, si un comportement a des conséquences appétives sur son environnement, sa fréquence augmente. C’est le renforcement positif. Si les conséquences sont aversives, alors la fréquence diminue. C’est la punition.
Le flouze, les bimbos et la Tesla
Dans le domaine de la publicité, l’histoire du chien de Pavlov ne se limite évidemment pas aux marketing board de Whiskas et Purina. Le marketer a vite compris que le conditionnement s’applique également au consommateur! Car tout comme le toutou d’Ivan, l’homme salive lorsqu’il est exposé à des stimuli biologiques (fermez les yeux, pensez très fort à un tiramisu au spéculoos, et vous en aurez la preuve)… mais aussi (et surtout) à des stimuli symboliques, comme le démontrent deux expériences:
Au cours de la première, le cobaye (pas le cochon d’Inde, mais bien la personne testée!) salive à la vue de l’argent suite à une situation de déficit de pouvoir. La deuxième expérience voit des hommes saliver à la vue d’une voiture de sport après avoir été invités à sélectionner des photos de femmes attractives en vue d’un rendez-vous galant. Ça en dit long sur la présence d’hôtesses au Salon de l’auto (on ne sait si ce sont leur « belle carrosserie » ou cette grosse cylindrée qui fait saliver les badauds? Réponse: les unes d’abord, l’autre ensuite). Quoiqu’il en soit, ces deux expériences ont en commun une situation initiale liée à des enjeux, et une réaction « animale » provoquée par l’exposition à un stimulus permettant de maximiser la situation initiale. Autrement dit, les stimuli symboliques servent de moyen pour satisfaire une situation potentiellement enviable.
Les applications dans la publicité
Pour le lien avec la publicité, inutile de vous faire un dessin! D’autant plus que chez l’homme, le réflexe pavlovien peut apparaître sans conditionnement préalable; en s’installant sur le terreau d’instincts primaires, comme le pouvoir et les conquêtes féminines des deux expériences précitées. Dès les années ’50, la publicité s’est donc empressée donc de remplacer le plaisir né de la consommation d’un produit par un symbole qui associe ce plaisir à ce produit, en vue de déclencher le fameux réflexe d’achat.
C’est donc simple comme bonjour: la pub associe subtilement un stimulus inconditionné (l’image de marque) à un autre stimulus conditionné à consonance positive (une musique enjouée ou anxiogène, des courbes plantureuses, de jolis mots…) pour obtenir une réponse conditionnée (une perception de la marque modifiée chez le récepteur du message).
Ce phénomène est d’autant plus efficace que les stimuli conditionnels sont répétés et exercés de façon quasi-constante: le « matraquage médiatique » parvient à saturer les capacités critiques du récepteur, donnant ainsi une notion de vérité au message publicitaire, et finit par arracher la conviction de celui qui la subit. Et si on mettait la théorie en pratique pour y voir plus clair?
Les pubs avec conditionnement répondant
S’il y a bien un domaine où la publicité tente d’adapter le comportement de sa cible par le réflexe pavlovien, c’est bien celui de la sécurité routière.
Il y a les actions – rares – qui récompensent les bons comportements:
En Suède, Volkswagen a installé un radar-loterie qui récompense avec de l’argent les conducteurs soucieux des limitations de vitesse.
Et puis il y a les actions – majoritaires – qui punissent les comportements inadaptés sur la voirie, pour les associer à des stimuli négatifs et les décourager ces mauvaises habitudes.
On pourrait en citer des centaines, car elles sont légion. Dans les plus originales, j’en proposerais trois, basées sur la technique porteuse de la crainte-puis-soulagement que nos amis commerciaux connaissent bien:
Récemment, Serviceplan surprenait les piétons parisiens imprudents en installant un panneau radar interactif devant un passage-piéton. Un son de crissement de pneu tonitruant retentissait dès qu’un passant grillait le « bonhomme rouge ». Les visages effarés des téméraires pris en flagrant délit étaient aussitôt immortalisées et projetés sur ce panneau, avec un message de prévention.
On ne présente plus la vidéo virale et romande « Les Pompes funèbres Anastase »! Dans ce spot aussi décalé que viral, la police vaudoise et le studio RJ41 mixent images choc et humour noir pour lutter contre l’inattention des piétons.
En Belgique, TBWA a sensibilisé une cible jeune et friande de weekends festifs aux dangers de l’alcool au volant grâce à un dispositif ingénieux, qui utilisait Facebook pour avertir les jeunes conducteurs des dangers d’une conduite irresponsable, en simulant un article de faits divers qui évoquait les détails précis de… leur propre mort.
Dans d’autres domaines, on trouve aussi des actions qui récompensent…
Pour le lancement de la 7ème saison de Game of Thrones, l’annonceur italien Sky a invité un groupe de marathoniens fans de la série à se faire une mise en jambe avant le 1er épisode. Le concept du « Marathron »: courir des heures durant pour visionner les 6 dernières saisons sur un écran placé à l’arrière d’un camion. C’est ce qu’on appelle suivre une série!
Certains distributeurs de boissons font la part belle au conditionnement: on a ainsi vu un distributeur récompenser d’une bouteille de Gatorade selon le degré de transpiration des passants, et les passants criant le plus fort se voir offrir une bière canadienne Farnham.
…Mais également des actions qui punissent:
Une publicité d’assurances sur deux effraie le prospect avec des situations catastrophe parfois hilarantes…
Une marque de shampoing anti-pellicules (ne me demandez pas laquelle) a placé une caméra en haut d’une tête de gondole, qui retransmettait sur un écran une vue plongeante sur le cuir chevelu des shoppers, en y ajoutant des pellicules.
Les pubs avec conditionnement opérant
En clair, il s’agit ici de créer une association positive avec la marque ou le produit. Voici quelques tactiques à disposition des publicitaires:
Le Celebrity endorsement (on pourrait aussi parler d’ambassadeur mais ça sonne tellement diplomatique!): Federer incarne Sunrise tandis que Mr. Bean n’est pas lui-même quand il a envie d’un Snickers.
Faire passer un produit comme extrêmement désirable; comme dans ce spot TV où un frère et sa soeur jouent des coudes pour offrir un coca-cola (très frais) à ce jardinier sexy (qui a très chaud), pour finalement se faire griller la 1ère place par leur mère. On pourrait aussi citer l’exemple plus poussiéreux d’Herbal Essence et ses fameux cris de jouissance sous la douche.
Et vous aurez certainement en tête d’autres publicités faisant appel à l’humour, ou au sexe. Ou les deux!
Faire penser que se passer d’un produit engendre des conséquences négatives. Fedex met ainsi en scène dans un spot TV deux hommes des cavernes. L’un est coursier, et se fait licensier par l’autre, son patron, car il a eu le toupet de faire livrer un colis via un dragon plutôt que Fedex. Mauvaise idée: le dragon se fait engloutir par un énorme dinosaure! Le message est limpide: tout colis expédié via un autre prestataire que Fedex n’arrivera pas à bon port (11). En d’autres mots, celui qui ne fait pas entièrement confiance à la marque et fait appel à des services concurrents (comportement non souhaité) le paiera cher (punition).
Le diktat des matous lovers
On le voit, la théorie du conditionnement dans la publicité a encore de beaux jours devant elle. Appliquons-la maintenant aux réseaux sociaux, pour mieux comprendre leur impact sur notre quotidien. Avec le règne du social media, le conditionnement prend une nouvelle tournure. Kevin Purdy applique ainsi la théorie du conditionnement opérant pour expliquer le concept d’Unpredictable Rewards, c’est-à-dire pourquoi vous et moi ne pouvons nous empêcher d’aller jeter un oeil toutes les 5 minutes à nos fils Facebook, Twitter ou Instagram. Une fois la photo de son chaton-tout-mignon postée ou sa dernière trouvaille partagée, l’internaute revient sans cesse vérifier si elle a été récompensée par un petit coeur ou un commentaire. Et ce tous les quarts d’heure, parce qu’on ne sait jamais… Ce phénomène est accentué par la « déprivation »: le moins souvent l’internaute dénichera un post intéressant son stream, le plus il sera motivé à revenir jusqu’à ce qu’il trouve enfin LA pépite qui fera sa journée. L’importance du bénéfice – le nombre de réactions sur un status – définira la valeur de l’effort fourni.
La face cachée de Pavlov
En 2015 déjà, un article du Huffington Post désignait Instagram comme le champion de la vie rêvée des autres: une compétition exhibitionniste et narcissique mondiale qui vise à montrer au plus grand nombre que ta vie est plus cool que celle des autres. La tyrannie du cool ne laisse aucun répit: plus moyen de zoner tranquillement chez soi sans être harcelé par un instagrammer te montrant qu’il est en train de vivre un moment génial et pas toi. Cette surenchère du bonheur affiché donne une impression de grossissement de l’effet de solitude face à la mise en scène de la sociabilité des autres. Un décalage renforcé par notre position passive face à ce flot d’images.
Oscar Wilde se la jouait Nostradamus en disant:
I couldn’t help it. I can resist everything except temptation
〰️
I couldn’t help it. I can resist everything except temptation 〰️
Toujours est-il que les personnes sensibles aux stimuli pavloviens seraient plus enclines à souffrir de boulimie, et d’autres problématiques comme les addictions… mais aussi la procrastination! Oui, le smartphone est un outil puissant, mais moins pour nouer des contacts (sociaux) que pour être contrôlé par des stimuli qui nous dépassent. Alors être connecté, oui, mais à quels prix temporel, énergie et moral? Si on prenait du recul, on pourrait mettre plus d’énergie dans des stratégies pour se contrôler et réduire la puissance motivationnelle de ces stimuli et souffler un peu, non? Être plus autonome, lever un peu les yeux de l’écran et regarder les oiseaux dans le ciel… Bon sur ces paroles bien-pensantes, filez sur Instagram: je parie qu’il s’y est passé quelque chose depuis que vous avez entamé cet article!